Exploration de Troupe - mai MMXXV

Gorges du Caramy

« Si la route te manque, fais-la. »

Les gorges du Caramy, entre Mazaugues et Tourves, creusent une tranchée au milieu de ces grands plateaux qui nous découvrent, du haut de leurs sommets, les vastes paysages de notre belle Provence. Il y a trois ans, en WE de HP, nous avions marché le long de la falaise, là-haut. Cette année, il nous fallait bien mettre les pieds en bas. Cependant, sur toutes les cartes, les chemins s'arrêtent. Sur internet, tous les avis sont unanimes : le passage est périlleux, il faut être fou pour se lancer dans l'aventure. Fou, cela tombe bien : nous le sommes ! Certes, la route manquait, mais nous la fîmes.

Nous étions arrivés la veille, pour pouvoir être d'attaque dès le matin. Campant sur les rives encore boisées du Caramy lorsqu'il arrive sur Tourves ; en bas de la chapelle saint Probace où repose l'un de ces 72 disciples que le Christ envoya évangéliser notre sainte Provence ; nous avions exercé notre adresse par un parcours Hébert d'une grande qualité, passant sur, sous, et dans la rivière.

Au petit matin, le campement fut vite replié. Nous mettons au défi quiconque d'en retrouver les traces. L'art de la discrétion est une nécessité lorsqu'on veut profiter de vraies aventures ! Au rassemblement, les scouts reçurent des coordonnées UTM qui donnaient un point précis : Mazaugues, c'était notre destination. Et des points de triangulations qui indiquaient le chemin : les Sauts du Cabri. Ces sauts sont un passage escarpé des gorges du Caramy, accidenté. On raconte que jadis s'y trouvait une mine qui s'est effondrée, d'où ce paysage sans dessus-dessous où l'eau (et les scouts après elle !) se faufile entre les roches et les fentes de la falaise.

Le chemin qui longeait la rivière s'arrêta au bout de quelques kilomètres. Peut-être deux tiers du parcours. Il restait un bon tiers à faire sans tracé. Sans craindre l'obstacle, les gars de la 1e Toulon s'y engagèrent à corps perdu. C'est une grande leçon de vie que nous reçûmes alors : si la route paraît bouchée, si l'on croit ne plus pouvoir avancer, alors il faut mettre un pied devant l'autre, faire un pas, qui découvre le suivant. Et ainsi de suite, pour finalement constater qu'envers et contre tout, la colonne n'eût pas à rebrousser chemin comme elle le craignait au départ. Qui veut passer passe.

Par-dessus les roches glissantes car mouillées par la pluie, s'aidant de bâtons pour monter des échelles de fortune, ou de cordes d'escalades – un éclaireur agile grimpait en avant de la Troupe pour les attacher en haut d'une petite falaise afin que les autres puissent monter à leur tour sans peine – , se faufilant avec l'eau entre les fentes de la falaise… les mains s'agrippant à ce qu'elles trouvaient, les pieds dans l'eau – puis l'eau dans les pieds car les rangeos sont plus imperméables de l'intérieur que de l'extérieur en définitive. Supportant les efforts les uns des autres, s'encourageant et se prêtant main forte, tous parvinrent à passer, sans un mal, et même : en chantant !

Les mots ne suffiront pas à dire la beauté de ce paysage si sauvage, si vif, si puissant. « Ce beau pays, où poussent les cailloux ! » Au-dessus de nos têtes, quelques dizaines de mètres d'une falaise taillée par l'érosion d'un cours d'eau auquel rien ne résiste, mais qui ne nous résista pas pour autant. Sous nos pieds, parfois, une fente dont on ne voyait pas le fond.

Fente dans laquelle d'ailleurs le CP de l'Once manqua de faire tomber son staff, l'y enterrant à tout jamais avant que des archéologues ne le retrouvent dans cinq siècles, supposant alors que les hommes préhistoriques étaient en réalité déjà scouts (ce qui est d'ailleurs fort probable car l'homme de Cro-Magnon ce n'est pas du bidon !).

Des arbres qui surgissent d'on se sait où, tirant leurs racines dans les airs. Un fleuve qui se fraye un chemin sans que rien ne puisse l'en empêcher, qui trouve toujours où passer, envers et contre tout obstacle. Des baumes et des galeries de l'antique carrière délaissée, que nous ne nous retînmes pas d'explorer, lampes sur le front et pieds dans le calcaire vaseux. Bref, la nature qui règne en maîtresse virile de ces lieux, et avec une paisible violence, qui nous dit quelque chose d'un pays qui a son caractère bien trempé.

Finalement, nous sommes plus rapides que prévus à remonter le cours d'eau qui nous file entre les jambes. Il faut donc improviser quelques jeux, ajouter un détour pour tuer du temps, et finir par entrer en chantant dans Mazaugues, sous les ovations des nuages qui ne trouvèrent rien d'autre qu'une belle averse pour nous recevoir dignement au pays des cigales.

Après le déjeuner et la sainte Messe chantée en grégorien par les HP, le week-end s'achève dans la joie par un solennel aurevoir à Gorfou F. qui vivait sa dernière activité sous le foulard à la 1e Toulon.

Tous le savent, c'est par l'aventure que nous deviendrons des hommes qui soient des saints, et celle-ci n'était pas des moindres. Mais elle n'est pas la dernière…


Faucon E. , Scoutmestre